"Quant au nouveau pape, on navigue encore en haute mer". Entretien avec Andrea Riccardi, paru dans le Corriere della Sera
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"Quant au nouveau pape, on navigue encore en haute mer". Entretien avec Andrea Riccardi, paru dans le Corriere della Sera

« En cette période de discussions, l'Église catholique peut sembler très divisée. Des opinions différentes, des groupes se dessinent. Après tout, le salon des Congrégations n'est pas fermé, les voix passent, les bavardages se diffusent. Il en est ainsi parce que nous sommes dans un processus qui est aujourd'hui dans sa phase initiale, mais qui finira par réaffirmer l'unité de l'Église, pour la renouveler », déclare Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant'Egidio, l'un des laïcs catholiques qui ont été le plus en contact avec le pape François.

Bon connaisseur de l'Église, au moins depuis sa jeunesse, et en raison sa thèse de licence dans laquelle il avait traité des relations de l’Eglise avec l'État, âgé de 75 ans, Riccardi entretient depuis des décennies une certaine familiarité à la fois avec ce que l'on appelle « l'autre rive du Tibre » et avec un vaste réseau de relations internationales.

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Selon vous, après les discussions, quelle synthèse s'ensuivra ?

« Il y aura forcément des mécontents dans un corps qui compte plus d'un milliard de croyants, mais le Conclave reconfirmera l'unité de l'Eglise ».

De nombreuses analyses sur le Conclave sont italocentrées. Elles adoptent souvent des interprétations essentiellement politiques et exposées au risque du schématisme. Je pense qu'il existe un large éventail de réflexions au sein du Collège des cardinaux qui n'est pas mis en lumière. Quels pourraient être, selon vous, les termes de l'affrontement qui va se développer pour l'élection du prochain pape ?

« Être italocentré est une façon de ne pas dire que nous naviguons en haute mer. Parce que ce sera un Conclave avec des cardinaux qui ont la plus grande internationalité. Ils viennent de si nombreux pays ».

De soixante et onze.

« Oui, il est difficile de comprendre les liens, les orientations, les perspectives. Il y a de nouveaux cardinaux, d'autres qui ne se sont jamais réunis en assemblée. On est donc dans le temps de la fuite en avant. Chacun dit un peu ce qu'il pense et on apprend à se connaître. Nous sommes au début de ce que Jorge Mario Bergoglio, en bon jésuite, aurait appelé le discernement ».

Un aspect à garder à l'esprit pour essayer de comprendre le résultat ?

« En plus des 133 électeurs, une centaine de non-électeurs participent aux discussions en cours. Il s'agit des cardinaux émérites ».

En 1970, Paul VI avait décrété qu'au-delà de quatre-vingts ans, on n'avait plus le droit de voter pour le souverain pontife.

« L'assemblée qui débat est donc composée d'électeurs et de non-électeurs. Et ces derniers ont tous une histoire avec François, une histoire parfois même difficile. L'assemblée dirigée par Giovanni Battista Re, un non-électeur, est très nombreuse, composée de plus de 230 personnes. Dans quelques jours, elle devra identifier son propre candidat ou une liste de noms ».

Selon vous, selon quels critères ?

« Se positionner par rapport à l'héritage de François. Sur la manière de le poursuivre. On entend des gens dire : « C'est le successeur de Pierre qu'il faut choisir, pas François. » Mais ne faisons pas de fondamentalisme ».

C'est un cardinal allemand en particulier qui a dit ceci....

« Je ne sais pas. Il faut bien sûr choisir le successeur de Pierre, mais le successeur immédiat de François. Joseph Ratzinger, qui était aussi un excellent théologien, s'est qualifié dans son premier discours de pape élu de successeur de Pierre et de Jean-Paul II, tant l'héritage de Jean-Paul II était fort ».

Comment se présentent les camps actuels, même s'ils sont susceptibles d'évoluer ?

« Je ne crois pas tellement à la division entre progressistes et conservateurs, ces catégories ne tiennent pas la route dans l'Église d'aujourd'hui. Il peut y avoir un groupe conservateur, plus traditionaliste, mais je pense que la discussion sera de savoir s'il faut stabiliser l'Eglise, après que François l’a fait courir, ou s'il faut continuer une pastorale "à la François." Charismatique, mais aussi évangélisatrice. Car François ne doit pas être considéré comme un progressiste, mais comme un évangélisateur. »

L'intelligence artificielle et les bouleversements des équilibres géopolitiques traditionnels : dans quelle mesure ces nouveautés influencent-elles l'âge souhaitable du prochain pape ? L'Église des prochaines années a-t-elle davantage besoin d'un Pontife jeune, donc en phase avec son temps, ou d'un sage en vertu de son ancienneté ?

« Ce sont les cardinaux qui en décideront. En effet, le nouveau pape sera confronté à un scénario sans précédent : d'un point de vue scientifique et technologique, mais aussi dans un monde de plus en plus en morceaux parce que la « guerre mondiale par morceaux » s'est intensifiée. Regardez la réaction nationale en Chine face au défi lancé par les « Américains ».

Par Donald Trump ?

Oui. Une autre question est l'âge du candidat-cardinal, qui est un indicateur de la durée du pontificat. Lorsque l'hypothèse de Giuseppe Siri fut discutée, il était jeune et on disait : ce sera un Père éternel, pas un Saint Père. Cela compte ».

En 1958, Siri avait 52 ans. Quel autre facteur peut compter ?

Le fait d'élire un pape « religieux », issu d’une congrégation religieuse, ou un pape « séculier » n'a que peu d'importance. Depuis 1846, les papes ont tous été des prêtres séculiers, des prêtres diocésains. Bergoglio a été le premier religieux, un jésuite. Il existe une certaine différence entre l'approche d'un religieux et celle d'un diocésain. Sur l'âge, après la mort de Jean-Paul Ier, qui s'était éteint en quelques jours, un pape jeune et athlétique fut choisi. Bref, la décision a été prise après une combinaison d'observations et de connaissances ».

Quelle est l'influence de l'origine géographique ?

« Les cardinaux africains sont nombreux, par exemple. Ils agissent avec une certaine cohésion. Comment vont-ils se positionner ? Sur qui porteront-ils leur préférence ? Un pape africain ? Il n'y a peut-être pas encore de consensus. Les Africains se sont inquiétés de la bénédiction par François des « couples irréguliers ».

Et les Asiatiques ?

« À l'exception des Philippins, leur christianisme est minoritaire et coexiste avec d'autres religions. Contrairement aux Églises européennes qui, bien que moins nombreuses que par le passé, vivent dans des pays de tradition chrétienne. Je ne négligerais pas les Latino-Américains, le continent le plus catholique du monde ».

Le prochain pape ne pourra pas ne pas aborder la question de la concurrence des évangéliques.

« C'est le bon terme : on ne peut pas faire semblant de l'ignorer ».

Elle a constitué une composante substantielle de l'électorat de Donald Trump.

« Oui, nous l'avons vu à la Maison Blanche, dans le bureau ovale : les pasteurs évangéliques élisaient le nouveau président et une croyante, Mme Paula White, a été nommée à la tête du Faith Office. Il s'agit d'un mouvement complètement différent de celui incarné par le pape de Rome : une théologie de la prospérité, du « moi d'abord », de la fragmentation en de nombreuses micro et macro-communautés. D'une certaine manière, le pape François a été l'anti-Trump. Pas sur le plan politique, mais par sa vision religieuse et universelle ».

[traduction de la rédaction]


[ Maurizio Caprara ]