Il connaît la misère, il saura réaliser les intuitions de François. Entretien avec Andrea Riccardi paru dans le Corriere della Sera

Il s'inscrira dans la continuité avec son prédécesseur mais il n'est pas un clone. Léon XIV n'a pas cette exubérance impatiente C'est un pape métapolitique, doté d'une grande expérience.

« Un pontife a été choisi parmi les cardinaux qui s'inscrira dans la continuité de l'héritage du pape François, mais avec une différence reconnaissable dans son tempérament de religieux. Je crois qu'il réalisera les intuitions de José Mario Bergoglio, tant de fois lancées et pas toujours conclues », déclare Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant'Egidio et historien de l'Église moderne et contemporaine. Il y a quelques jours, lors d'une précédente interview, nous avions convenu que de nombreuses analyses circulant sur le Conclave en cours d'ouverture étaient trop italo-centrées. Et même une fois le Conclave terminé, la voix de Riccardi mérite d'être entendue.

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Dans quelle mesure Léon XIV sera-t-il dans la continuité du pape François ?
« Il n'est pas un clone de François. De son prédécesseur, il n'a pas l'exubérance impatiente et porteña de Buenos Aires. C'est un homme qui a été forgé par un service doux et constant, et François l'a voulu près de lui pour ses qualités d'équilibre ».
Qu'est-ce qui peut être un élément de différence ?
Il se fera aider dans le gouvernement, comme il l'a fait en tant que supérieur général des Augustins.
Quelle est, selon vous, la signification de l'élection d'un cardinal originaire des États-Unis ?
« Cela peut en surprendre plus d'un parce qu'il n'y a pas de précédent. Mais pour le comprendre, il faut se plonger dans la biographie de Robert Francis Prevost ».
A vous la parole.
« Un religieux des Augustins. Il a une dimension qui n'est pas seulement américaine, mais universelle. Le risque serait de se trouver pris dans les divisions du catholicisme américain. Mais pas avec lui. Ensuite, il a été évêque au Pérou dans des régions particulièrement défavorisées. Il connaît la misère du peuple péruvien. Il est citoyen de ce pays et face aux fidèles, hier, il s'est exprimé en espagnol, pas en anglais ».
Ne lui manque-t-il pas « l'odeur des brebis », des « bergers présents au milieu de leur troupeau », comme le recommandait François aux prêtres ?
« Il l'a. Et François l'a appelé à la tête du dicastère des évêques, il a suivi toute sa politique de nomination des évêques, qui sont l'avenir de l'Église. Prévost était au-dessus des divisions et des ambitions de la Curie romaine. Il est toujours resté en retrait. Il a mené une vie laborieuse au sein de la Curie, tout en restant à l'écart des débats et des discussions. Il s'agit d'une biographie très universelle. Américaine, latino-américaine, romaine. C'est un pape de grande expérience. Il trouvera un peuple qui a ressenti le vide de la disparition de François et le besoin d'un chef spirituel. Ce peuple, comme nous l'avons vu sur la place Saint-Pierre, l'accompagnera ».
Vers où ?
« C'est un homme de paix, même au sein de l'Église. On se demandera : est-il à la hauteur des conflits, puisqu'il n'a pas d'expérience diplomatique ? »
S'adressant à la place en tant que Léon XIV, il a invoqué la paix sans mentionner les guerres en cours en Ukraine et à Gaza.

"En s'abstenant de les mentionner pour sa première occasion en tant que pape, il a fait preuve de perspicacité : sur la place, il a évité toute parole interprétable en faveur d'un type de paix ou d'un autre. C'est un pape métapolitique."
Au-dessus de la politique sans la connaître ?
Oui.
En novembre dernier, Avvenire faisait état d'une étude selon laquelle 56% des catholiques américains voteraient pour Donald Trump à l'élection présidentielle. Quelle ligne de conduite Léon XIV pourrait-il adopter à leur égard ?
'Il se situe vraiment au-delà des débats américains. Il n'a pas été élu pour les débats américains. Le fait qu'un cardinal américain n'ait jamais été élu révèle la crainte qu'un tel pape puisse être considéré comme l'expression d'une superpuissance. Ce n'est pas le cas avec lui. Une personnalité identifiée a une dimension universelle ».
Il n'y a pas eu de pape italien depuis 1978. Le dernier était Albino Luciani. De nombreux pronostics désignaient le secrétaire d'État sortant, Pietro Parolin. Cela signifie-t-il que l'on surestime le poids de l'Italie dans l'Église ?
« L'Eglise n'a pas choisi un pape diplomate. Parolin l'aurait été. Le choix s'est porté sur un pasteur qui a ensuite travaillé à la Curie et qui était considéré comme plus apte à traiter les questions de paix et de guerre. Il y a une survalorisation du pape italien. C'est comme s'il y avait une nostalgie pour ce scénario, mais je pense qu'il n'y a pas eu de choix entre un Italien et un non-Italien. Le choix s'est porté sur un homme qui pouvait reprendre l'héritage de Bergoglio et Prévost était l'un de ses très proches collaborateurs ».
Dans la dialectique en jeu au sein de l'Église, quel est le courant ou la conception de l'action qui a prévalu ?
« Ce qui a prévalu, c'est l'unité de l'Église. Il est certain que Léon XIV peut réconcilier les membres de la Curie qui voulaient Parolin. C'est un homme de synthèse. Alors qu'au début, lors de la messe du conclave, on n'a pas fait mémoire de Bergoglio, le nouveau pape a voulu le rappeler ».
Quelle a été la composante du conclave qui, à première vue, n'a pas été gagnante ?
« La composante de ceux qui voulaient revenir en arrière, mettre de l'ordre, considérant le pontificat de François comme une parenthèse. Ceux qui disaient qu'il fallait s'inquiéter du fils aîné qui était resté à la maison et non du fils prodigue qui était sorti."

[traduction de la rédaction]


[ Maurizio Caprara ]