« Diplomatie, nominations et jeunesse, voici la douce révolution des 100 premiers jours du pape Léon ». Interview d'Andrea Riccardi paru dans La Stampa
EDITORIAL

« Diplomatie, nominations et jeunesse, voici la douce révolution des 100 premiers jours du pape Léon ». Interview d'Andrea Riccardi paru dans La Stampa

Le fondateur de Sant'Egidio revient sur les 100 premiers jours : « La comparaison avec le pape François est erronée »

« La sérénité de Léon est une réponse à l'inquiétude humaine et religieuse qui traverse une période difficile », affirme l'historien du christianisme Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant'Egidio, médiateur de paix au Mozambique, au Guatemala, en Côte d'Ivoire, en Guinée, ancien ministre de la Coopération internationale.

Près de 100 jours après son élection, qui est le pape Léon XIV ?

« Le succès du Jubilé des jeunes a été une surprise. Entre la mort de François et l'intronisation de Léon, un intérêt fort et renouvelé pour l'Église s'est manifesté chez des personnes de tous horizons. Le premier message de Léon a été : « Le mal ne l'emportera pas ». Cela semble peu, mais c'est beaucoup dans une situation où le mal s'appelle "guerre" au cœur de l'Europe, à Gaza, au Moyen-Orient, au Soudan. À Tor Vergata, les jeunes sont venus en nombre dépassant toutes les prévisions. On en attendait 500 000 jeunes, ils ont été plus du double. C'est le signe que Léon XIV est en phase avec les attentes de beaucoup, même en cette période de crise de l'Église ».

Alors, « l'Église brûle-t-elle », comme le titre de votre livre l'indiquait ?

« Oui, mais il y a des signes contraires : la réouverture de Notre-Dame de Paris, le baptême de 18 000 jeunes et adultes en France. La demande religieuse existe et la sérénité de Léon XIV l'intercepte. Le succès des JMJ le prouve. Et puis, crise ne signifie pas nécessairement fin. Cela peut être une occasion de s'ouvrir à l'avenir. Le risque est plutôt de se contenter de survivre, en regrettant un passé qui était meilleur. La solution est de vivre dans la crise, voire de l'affronter en missionnaire, comme le fait le pape Léon ».

Un bilan des 100 jours ?

« Pour la Maison Blanche, on dit que les 100 premiers jours révèlent la présidence. Le souffle d'un pontificat est différent. Nous ne devons pas attendre les nominations pour juger le pape. Il les fera au moment opportun, mais ce n'est pas l'équipe de gouvernance qui nous dira qui est Léon XIV. C'est une erreur de le juger en termes de rupture ou de continuité avec François, de restauration ou non des institutions ».

Qu'est-ce qui ne vous convainc pas à cet égard ?

« Ce sont de mauvais critères. Nous connaissons déjà Léon XIV, il nous a parlé à plusieurs reprises au cours de ces trois derniers mois, il n'est pas nécessaire d'attendre les grandes décisions du gouvernement. Il nous a fait part de ses réflexions, il a rencontré beaucoup de monde, son agenda a été très chargé. Des documents et des décisions vont arriver, mais sa sérénité s'est manifestée comme celle d'un croyant, très préoccupé par l'état d'un monde dans lequel nous avons recommencé à parler de confrontation atomique alors que cela n'était pas arrivé depuis des décennies. On ne parvient pas à résoudre les conflits mais le pape ne renonce pas, conformément à l'Évangile d'une paix enracinée dans le message religieux dont il est le témoin. La sérénité, la foi et la paix vont de pair pour nous libérer de la résignation face à la guerre ».

Quelle géopolitique met-il en œuvre ?

« La paix a disparu à l'horizon et la guerre est l'instrument choisi par la politique internationale, c'est presque un mode de vie pour des centaines de milliers d'hommes qui vivent en faisant la guerre. Cela est inacceptable pour Léon qui, à Tor Vergata, a montré aux jeunes que l'amitié était le moyen de changer les horizons géopolitiques et a mobilisé son peuple selon un projet de paix. Le Congolais Floribert Bwana Chui a dû être béatifié à Rome parce qu'il y a la guerre à Goma, or il est le symbole de la résistance à la violence et à la corruption ».

La comparaison avec le pape François ?

« Opposer François et Léon n'a aucun sens. La différence de personnalité est évidente, mais la continuité est sereine : à ceux qui rejettent ou critiquent le pape d'hier pour exalter celui d'aujourd'hui, je recommande le silence du cardinal Carlo Maria Martini qui, bien qu'il ne partageait pas les opinions de Karol Wojtyla, n'a jamais dit un mot contre lui, ni avant ni après la mort du pape polonais. Dans la diversité des caractères, Prevost reprend l'héritage de Bergoglio en liant les migrants à l'espérance dans un monde qui les craint. Le travail de l'Église est à la fois social, spirituel et religieux. Les pauvres restent au centre de l'attention pastorale de l'Église, car l'Église est celle des pauvres ».

À qui Léon XIV ressemble-t-il le plus ?

« C'est un homme libre parce qu'enraciné dans l'Evangile, avec une pureté qui inspire confiance par son sens des responsabilités. C'est un travailleur sérieux et consciencieux, comme en témoigne sa lecture des textes lors des audiences. C'est un homme déterminé empreint de douceur, et il n'y a rien de plus fort que la force des doux. Lors des JMJ, il a rappelé Wojtyla. On lui a demandé que le Vatican soit le lieu de rencontre pour les négociations et il n'a pas refusé, revendiquant la nécessité de se regarder dans les yeux. Il n'a pas été troublé par le refus russe au point de parler au téléphone avec Vladimir Poutine et de recevoir l'émissaire du patriarche Kirill. Son discours sur la paix n'est pas passif. Il engage l'Église à faire plus et, par ses actions, il interprète la vocation exprimée par Paul VI à l'ONU : « Plus jamais la guerre ». 

Il entend « attaquer » cette ère de la force pour passer à une « ère de négociation » selon la formule de Giorgio La Pira, c'est-à-dire à une époque de la rencontre et du droit. Un message de paix enraciné dans la foi, mais loin d'être abstrait. Léon XIV sait parler de paix et de guerre de manière concrète ».

Quelle est l'importance des nominations ?

« Le choix des collaborateurs a son importance, comme le montrent les difficultés rencontrées par le pontificat de Benoît XVI. Mais cela ne peut se réduire à un jeu de pronostics, au choix d'habiter l'appartement pontifical ou de porter la mosette. Il s'agit là d'une lecture réductrice. Les nominations ont un poids qui s'affirmera avec le temps ».

Primus inter pares ou soliste ?

« Le Saint-Siège ne fonctionne pas selon le spoil system. Lors de la première réunion avec les chefs des dicastères, Léon XIV a montré qu'il voulait gouverner avec ses collaborateurs en redynamisant le « conseil des ministres » voulu par Paul VI. Devant le monde, il se présente comme évêque de Rome, mais il est aussi fils de l'ordre augustinien et sait que diriger une communauté est complexe. Dans une période un peu déprimée et résignée, c'est un homme d'espérance. Comme Wojtyla, il est conscient que l'on dirige les troupes en les encourageant. Et il est convaincu que l'on peut faire la différence dans le monde en mettant fin aux guerres sans se laisser abattre, même si en Occident et dans de nombreux endroits du monde, on a assisté à une réduction continue de la pratique religieuse, à une baisse des vocations, à une moindre incidence de la présence catholique dans la vie publique. Une situation de vide qui nous concerne tous et dont le pape Léon a fait l'expérience à différents niveaux de sa mission ecclésiale. C'est un homme calme, qui médite et qui a immédiatement évoqué le pontificat du pape François et la synodalité. On ne peut pas le comparer avec Léon XIII, mais il assume certainement l'héritage des papes du Concile ».

[traduction de la rédaction]


[ Giacomo Galeazzi ]